Couple, faire coup double
L’enjeu du Lien et de l’Engagement personnel au sein de la relation
par Nicolas Souchal
Le couple est un enjeu, celui de vivre une relation intime et authentique avec soi et avec l’autre en présence.
C’est-à-dire de cheminer vers une libération des charges et modèles du passé, et l’ouverture à l’inconnu qui se présente.
Ainsi disponible à recevoir et engagé dans le lien, chacun devient le moteur et l’occasion pour le couple de goûter aux fruits de l’amour, ce présent qui s’offre et se savoure toujours dans le lien et l’ouverture.
Ce processus de longue haleine ne s’improvise pas. Il demande courage, engagement et persévérance, car le jeu de la relation fait surgir bien des fantômes sur le chemin.
Loin des représentations édulcorées offertes par le cinéma à notre regard enfantin en quête d’idéal, l’engagement avec le ou la bien aimé(e) est une danse avec un dieu ou une déesse aux multiples visages. Et il faudra passer par bien des épreuves, déjouant les faux-semblants, compromissions et autres jeux de pouvoir, pour s’asseoir à la table du Roi ou de la Reine.
A chaque fois, il s’agira de jouer notre meilleur atout : Aimer. C’est-à-dire s’engager authentiquement dans le lien et l’ouverture.
Qu’est-ce qu’un couple ?
Il est d’abord un espace relationnel entre deux individus, avec des spécificités, la principale étant un degré d’intimité important et une forme d’engagement.
C’est cette intimité qui va faire que les vieux démons ressortent. Intimité physique (la vie au contact de l’autre), sexuelle, affective, intellectuelle et spirituelle. Toutes ces formes d’intimité ou de relation s’exprimant, bien entendu, plus ou moins au sein de chaque couple.
Être en couple signifie donc d’abord être en relation, intime et engagée, sur différents plans.
Qu’est-ce qu’être en relation ?
C’est être en contact et échanger (de l’information, des affects, des gestes) avec un autre. C’est-à-dire se rapprocher de cet autre et partager, vivre des expériences, et construire un lien, du commun, un “nous” entre nous.
Dans une relation à deux nous sommes en fait donc trois : les deux membres qui échangent à travers le lien… et le lien !
Qu’est-ce que le lien ?
Le lien est ce qui se tisse, au cours du temps, en vivant la relation.
La relation se vit toujours au présent : nous sommes en relation maintenant, ou pas. Le lien, lui, une fois que les deux premiers fils sont tissés, vit sa propre vie, par-delà le temps et l’espace, que nous soyons en contact ou non. C’est pourquoi, par exemple, notre lien avec une personne défunte continue à vivre par-delà la mort.
Fragile au début, le lien se renforce à chaque étape de la relation, à chaque épreuve et crise traversée, et ce tout au long de l’histoire de ce “nous”. La relation peut rompre ou se terminer, le lien, lui, est éternel.
Et, que se passe-t-il à travers ce lien, au sein de la relation de couple ?
Le théâtre du couple
Lorsque nous entrons en relation avec une personne, quelle qu’elle soit, nous captons des milliers d’informations à chaque seconde, que nous confrontons à ce que nous avons en mémoire – de par nos expériences personnelles ou transmises à travers les âges – afin d’adapter notre comportement à la situation. Et cela se passe en grande partie de manière inconsciente.
Prenons un exemple : un homme rencontre une femme lors d’une soirée et l’invite à boire un dernier verre chez lui. Cette dernière refuse, par principe, arguant qu’elle est fatiguée. Puis, le lendemain, en parlant avec une amie, elle se dit : “Je suis trop bête ! J’aurais dû dire oui, il avait l’air si doux et charmant.”
Nous voyons que différents niveaux d’information coexistent : la réponse automatique, qui était sans doute une mesure de précaution, sélectionnée par le cerveau archaïque de la femme pour se préserver (liée à des mémoires de danger), l’argument rationnel (la fatigue) qui est une façon de se justifier auprès de l’homme et peut-être pour elle de donner du sens à cette réponse instinctive. Et, l’appréciation émotionnelle (de la douceur et du charme de cet homme) perçue, mais non décisive qui ressort le lendemain.
Ce monde interne est riche et complexe et demande à être exploré, conscientisé pour que nous ne restions pas l’objet impuissant de nos réactions automatiques. Pour devenir sujet conscient, aux commandes du navire, nous avons à écouter ces différentes parties de nous avant qu’elles ne se projettent à l’extérieur dans nos relations, reproduisant sans cesse notre passé.
Au cours d’une relation, nous allons en fait sans arrêt interpréter ce que l’autre fait ou dit, en nous appuyant sur nos expériences passées – c’est dans notre nature ! – et ce n’est pas un problème en soi.
Le problème survient lorsque, en plus d’interpréter des choses à l’intérieur de nous, nous les projetons à l’extérieur, sur l’autre et la situation sans prendre la peine de vérifier.
“Je suis sûre qu’il ne m’écoute pas, qu’il s’en fout, il vient de regarder l’heure”,
“Si je laisse mes émotions s’exprimer, elle va me prendre pour une fiotte, c’est sûr”,
“Je lui laisse l’oreiller dur, c’est pas grave, je me contente du mou” (alors qu’elle préfère peut-être le mou et moi le dur !)
sont des exemples de situations où la projection prend le pas sur la réalité présente.
Nous sommes alors en décalage avec le réel, perdus que nous sommes dans notre passé, nos suppositions, que nous ne faisons que répéter dans le présent, revivant encore et encore notre drame personnel.
En fait, à ce moment-là, nous ne sommes pas en relation, ni avec l’autre ni avec nous-mêmes, nous ne sommes juste… pas là !
Une grande partie de notre vie de couple – et pas seulement – consiste en cet état d’“absence” et de réactivité au cours duquel se réactualisent et se renforcent nos scénarios passés.
Qu’est-ce qui peut nous permettre de revenir au présent et de rester en lien au présent ?
Une question de sécurité
Nous voyons à travers l’exemple précédent que l’enjeu premier lors d’une rencontre est la sécurité, qui est notre besoin le plus fondamental.
Mais, comme le met en évidence Ilan Stephani, auteure et enseignante spécialiste des questions d’intimité dans la relation, notre conditionnement culturel nous amène à vite entrer en intimité avec l’autre et à “démarrer une relation” avant d’avoir vérifié préalablement si nous étions véritablement en sécurité. C’est une des raisons pour lesquelles, plus tard dans la relation de couple, vont se poser avec beaucoup de difficultés (et les peurs associées) les questions de l’engagement dans le lien – la sécurité n’étant pas installée.
Dans le règne animal, c’est l’inverse, le lion et la lionne se tournent autour, rugissent, se cherchent, expriment leur agressivité envers l’autre afin de vérifier, avant toute chose, si l’autre est bien solide, fiable, afin de nous sentir en sécurité avec. Puis, si le test est passé, ils vont pouvoir se rapprocher et entrer en intimité, puis éventuellement avoir une relation physique. Et enfin s’attacher.
Ne prenant généralement pas le temps d’écouter nos instincts, dont nous sommes par ailleurs bien coupés, et ayant souvent un tel besoin d’amour, de reconnaissance et de réassurance, nous avons tendance, aux premiers battements de cœur, à nous précipiter vers l’autre. Autant dire que c’est dans la gueule du loup que nous nous jetons !
En effet, après les premières hésitations, mus par nos hormones et l’espoir de combler nos besoins insatisfaits (notamment la sécurité) en cherchant à l’extérieur, nous allons ignorer les messages intérieurs de notre corps visant justement à vérifier notre sécurité et nous invitant à la prudence.
Ayant intégré dans notre petite enfance que nous ne pouvions pas faire confiance à nos ressentis – car ils étaient jugés, dénigrés ou alors nous avons vécu des traumatismes au cours desquels nous nous sommes coupés d’eux – nous ne les écoutons pas, croyant que l’extérieur va nous sauver. Et, reproduisant le scénario enfantin dans notre couple, attendant de l’autre qu’il joue le rôle du parent idéal, nous apportant l’amour et la sécurité dont nous avons tant manqué, nous allons nous abandonner une fois de plus, et nous laisser prendre dans des espoirs illusoires et un attachement insécure.
C’est alors que se mettent en place les fameux scénarios que nous connaissons tant : vouloir faire plaisir, ne pas s’affirmer par peur de blesser l’autre, la suradaptation, les jeux de séduction ou le rejet, attendre que l’autre devine notre besoin, s’oublier dans l’autre, ou plutôt dans un “on” indéfini (“on a qu’à faire ça”, “on est bien ensemble”, “on se comprend pas”… ), nous amenant dans un état régressif fusionnel…
Tous ces scénarios, dans le théâtre du couple, sont des occasions d’intégrer nos expériences passées inachevées, et d’intégrer la sécurité dans le lien. L’intimité physique et affective nous donnant l’illusion de cette sécurité, nous allons rejouer ces scènes en déclenchant à tous les coups la combinaison gagnante pour souffrir : ouvrir trop vite à l’autre la porte de notre coeur sans nous protéger – ou, ne jamais l’ouvrir – et en parallèle projeter sur lui des situations issues de notre histoire qui, comme par hasard, vont tomber dans le mille pour le faire réagir et nous blesser à son tour !
Voilà comment se met en scène et se joue la tragédie humaine.
Alors, comment trouver la vraie sécurité ?
Et si la sécurité résidait dans le lien, à soi et à l’autre ?
Avant toute chose : revenir à soi. Écouter ce qui se passe dedans. Et prendre la responsabilité de notre vécu, de notre histoire, de nos besoins. Tel est la condition sine qua non pour sortir du fameux triangle bourreau-victime-sauveur. L’autre n’est pas là pour nous sauver. D’ailleurs personne ne l’est. Nous sommes des adultes et, si nous voulons être épanouis, nous devons prendre la responsabilité de notre vie et en particulier de nos ressentis.
Dans le couple, l’intimité et la sécurité relative installées sont le terreau de la transformation. Du fait de la relation d’attachement, les scénarios d’enfance de chacun vont avoir tendance à se rejouer par résonance. C’est là qu’il s’agit d’être présent. En écoutant nos émotions, nous allons pouvoir identifier les besoins du petit enfant en nous qui demeurent insatisfaits et dont NOUS SOMMES RESPONSABLE MAINTENANT.
L’autre n’est pas à l’origine du sentiment d’abandon ou de rejet que nous ressentons, il n’est pas la cause de notre blessure mais en est le révélateur.
De même, nous ne sommes pas responsables du fait que l’autre se croit humilié, trahi ou envahi à ce point. Nos comportements réveillent en fait des blessures anciennes et déclenchent des charges émotionnelles puissantes non intégrées.
Dans une situation d’activation d’une blessure, j’ai ainsi à revenir à moi et à mon ressenti.
C’est alors DANS LE LIEN AVEC MOI-MÊME que je vais pouvoir :
- Reconnaître cette blessure, et la souffrance terrible que j’éprouve au fond de moi,
- M’accueillir moi-même à cet endroit de grande vulnérabilité, en étant simplement présent (en prenant appui sur la respiration par ex.),
- Prendre soin de moi, de mon corps, de mon cœur, de mon besoin non satisfait.
C’est ainsi que, conscient de mes blessures, de mes besoins et de mon pouvoir, je vais être en mesure de renouveler mon engagement envers moi-même : m’aimer tel que je suis, et me prendre en charge de manière autonome, assurant ma sécurité et mes autres besoins.
Je vais alors pouvoir, DANS LE LIEN À L’AUTRE :
- Me dévoiler tel que je suis en vérité, et accepter d’être vu dans ma sensibilité et ma vulnérabilité,
- Ouvrir mon coeur et accepter d’exprimer ce qui me traverse, m’engageant authentiquement dans le lien et l’ouverture,
- Laisser sa liberté à l’autre d’être tel qu’il est, sans être dépendant de lui.
Ayant retrouvé mon axe et ma posture adulte responsable, en étant pleinement authentique je risque en fait surtout une chose : toucher mon partenaire en plein cœur.
Réveillant compassion, sensibilité et écoute véritable, l’alliance peut se créer dans le couple et la sécurité s’installer dans le lien.
Si l’un et l’autre dans le couple s’engagent dans cette ouverture et cette authenticité, la relation, ainsi libérée des attentes inconscientes et inappropriées de chacun, se retrouve être le terrain de possibles nouveaux élans.
Il est alors possible, ensemble, de renouveler l’engagement dans le lien et l’inconnu, c’est-à-dire dans l’ouverture à l’amour.
C’est ainsi bel et bien dans le lien que l’on guérit du lien blessé.
Cette action contre-intuitive – de s’engager dans le lien en étant vulnérable alors que c’est là qu’on a souffert – est en fait portée par la Présence, d’abord à soi puis à l’autre puis au lien vivant, Présence qui soutient tout le processus.
Cet engagement en présence dans le lien, dans l’amour et dans l’inconnu est la plus belle des aventures, où authenticité et ouverture se conjuguent au service de la fertilité de la relation.
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